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  • Photo du rédacteurVéronique Marie Aubry

Mort alitée

La nouvelle, un peu laconique, est tombée ce soir et tous les médias se sont empressés de la diffuser : la mort est au plus mal.


Alitée depuis plusieurs jours, luttant pour sa survie, elle pourrait bien ne jamais se relever et ne même pas passer la nuit. A son chevet, personne ! Et c’est tout juste si un infirmier particulièrement dévoué, passe la tête, de temps en temps, par la porte entrebâillée pour vérifier le bon déroulement du départ de la chère non-regrettée. Des funérailles, plutôt fun, se préparent déjà. Des croque-morts, plus habitués à ramasser les bons vivants, jadis fauchés par la future défunte, astiquent déjà le corbillard qui emportera son corps, sans messe ni homélie, vers un bientôt désertique purgatoire.


Dans mon quartier, c’est la pagaille. Des passants déstabilisés s’agitent et paniquent. Pris au dépourvu, ne sachant quel nouveau sens donner à leur existence, certains vivent un véritable enfer. Une femme, un peu revêche, s’agace de ne pas avoir été prévenue à temps afin de pouvoir s’organiser pour un si long voyage. Un homme, éploré, s’attriste du tardif événement, regrettant qu’il n’ait pas eu lieu plus tôt ; ce qui aurait ainsi évité l’irréversible disparition d’êtres chéris. Partout, l’incrédulité et la désorientation se lisent sur les visages hagards. L’inconcevable est arrivé : demain, la mort n’existera plus. Nous vivrons tous éternellement. Les maladies, quelles qu’elles soient, seront guéries. Toutes les blessures seront enrayées. La mort ne sera plus là pour pourrir la vie.


Quant à moi, je m’interroge : Serons-nous condamnés à rester en l’état physique et mental présent, figés pour un toujours, irrémédiablement permanent ? Ou bien, vieillirons-nous joliment sans diminutions ni dégradations d’aucune sorte ? Que sera le seuil de notre longévité ? A quel moment, serons-nous atteints par la maturité éternelle ? Quel sera l’âge idéal pour la postérité ? Allons-nous continuer d’évoluer à l’infini ? Serons-nous compatibles avec les générations à venir ? Dans le sprint du temps, nos cerveaux suivront-ils les cadences infernales de la technologie ? Serons-nous capables de lutter efficacement et éternellement contre une profusion de rétrogrades et nostalgiques grincheux qui pourraient porter atteinte au progrès ?


Y’aura t-il assez de ressources à partager ? Assez de nourriture ? Assez d’eau ? Assez de place sur la planète ? Assez d’amour pour vivre en bonne intelligence ? Serons-nous assez légers pour traverser les siècles en toute harmonie ? Les bagarres cesseront-elles, dès lors qu’il n’y aura plus jamais de gagnants ? A avoir autant de temps dans une interminable vie, est-ce que l’on ne risque pas d’en avoir trop, aussi vide qu’un puits sans fond ? Y aura t-il assez de livres à lire ? De musiques à écouter ? De films, de spectacles à voir ? De merveilles à découvrir ? Est-ce que je ne vais pas finir par m’ennuyer mortellement ?


Est-ce que l’on ne devrait pas songer, tant qu’il en est encore temps, à aller ranimer cette effrayante chose qui met pourtant, étonnamment, du piquant dans l’existence et nous oblige à nous y accrocher et à la mordre à pleines dents, chaque jour, pour la rendre plus précieusement pleine de vie ??? …

© Véronique Marie Aubry

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