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  • Photo du rédacteurVéronique Marie Aubry

Saccage


S’il y a bien une chose que je n’aime pas du tout, mais alors vraiment pas du tout, c’est de me faire pigeonner !

Je n’ai pourtant pas une cervelle de moineau et je suis arrivé à un âge vénérable grâce auquel l’expérience épargne bien des tracas. Non, non, je ne vais pas faire mon vieux croûton, rassurez-vous ! D’autant que, sans me vanter, je suis encore bien appétissant et pas le dernier pour la voltige ; si vous voyez c’que je veux dire…

Mais, cette extravagance-là me laisse le bec dans l’eau et les yeux estomaqués. Pourtant, des déboires, j’en ai eu dans ma vie, croyez-moi, et l’on m’a souvent conté des fleurettes pas très fraîches. J’ai bu plus de tasses que vous ne pourriez l’imaginer, mais j’en ai toujours pris de la graine et n’ai pas perdu une miette des leçons qu’il y avait à en tirer. Cependant, je dois bien l’admettre, cette fois-ci, je suis tombé sur un drôle d’oiseau.

Ni bécasse ni bégueule, elle passait souvent juste devant ma fenêtre, s’arrêtait et prenait le temps de la conversation. Sans façon, parfois même, elle entrait et nous picorions ce que j’avais préparé pour le déjeuner : du pain perdu ou des petits pois dont elle semblait raffoler.

Elle avait toujours, j’en conviens, un fort joli décolleté pigeonnant, tout à fait affriolant, et lorsque, de sa démarche gracieuse, elle passait près de moi en me frôlant, je sentais courir, tout le long de mon échine, un frisson polisson et le vent de la passion. Son collier ras-de-cou, couleur de jais, lui allait à ravir. Complètement sous le charme, je me laissais aller à imaginer ses longues griffes sillonnant suprêmement ma poitrine.

De temps en temps, elle me laissait roucouler et m’incliner. Et moi, en mon for intérieur, je piaffais d’impatience à l’idée d’apaiser ma pépie. Heureux et confiant, je me livrais et lui ouvrais la porte de tous mes secrets, mes trésors et leurs cachettes, mes petits paradis. Elle s’émerveillait de tant de richesses, me félicitait de ne pas être ramier et pour mon sens de l’économie. Je paradais et frétillais, comblé par tant de flatteries.

J’aurais dû prendre ombrage de ce qu’elle béquetait au lieu de me bécoter. J’aurais dû protester quand elle quittait mon nid au lieu de s’y installer. Mais, hélas, n’ayant rien pigé, je la regardais s’envoler ailleurs à tire-d’aile et s’éparpiller de tous côtés. Oisive et ricaneuse, elle s’égayait cruellement et me laissait pantois au bord de l’abîme.

Et puis, un jour, je ne l’ai plus vue. Malheureux, éperdu, je l’ai attendue comme un Pierrot qui se meurt d’amour pour sa Colombine. Mais la voyageuse n’est jamais revenue. Elle avait tout emporté, mes trésors, mes secrets, mon paradis.

De ma vie, jamais, je n’avais pris une telle volée !

© Véronique Marie Aubry

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